Le Roman


Le résumé

CHAPITRE 1: l’embuscade

Le Commandant Hulot arrive, à la tête de sa demi-brigade et des réquisitionnaires bretons enrôlés de force dans le district de Fougères, au sommet d’une colline séparant la Bretagne du Maine. Il tombe sur Marche-à-terre, un homme vêtu grossièrement et en sabots, et subodore immédiatement un piège tendu par les Chouans. Il prend ses dispositions, mais ne peut empêcher les conscrits de s’enfuir à la première escarmouche. Par précaution, il envoie chercher la Garde nationale de Fougères. Puis la bataille fait rage, faisant de nombreux morts. Hulot réussit à apercevoir vaguement le « Gars », le jeune chef chouan.

Les tambours de la Garde nationale poussent les Chouans à faire retraite, mais Hulot reste fort intrigué d’avoir été attaqué dans ces conditions. En fait, les Chouans attendent la malle-poste qui transporte de l’or. Un différend apparaît entre le jeune chef et ses hommes, car celui-ci ne veut pas cautionner le brigandage. Une femme, la comtesse du Gua, arrive et prend parti contre le « Gars », en réalité le marquis de Montauran, chef des Chouans nommé par le Roi.

Pendant ce temps, la troupe va droit sur Ernée et la diligence reprend sa route, après s’être arrêtée par prudence dans une auberge. Rencontre fortuite de l’oncle (l’abbé Gudin est recteur breton et passager de la malle-poste) et du neveu (caporal chez les Bleus). Il s’ensuit une vive altercation. Peu après, malgré la désapprobation du « Gars », la malle-poste est interceptée et pillée par les Chouans, mais Mme du Gua s’aperçoit que c’est son propre argent (envoyé par sa mère) qui vient d’être distribué. Par ailleurs, des informateurs indiquent que la police de Fouché a l’intention de surprendre le chef chouan par la ruse et la trahison. Mme du Gua organise rapidement l’attaque d’un convoi de fonds du côté de Mortagne, le postillon doit se faire Chouan sous la contrainte, et l’on extorque à un banquier de Fougères trois cents écus.

CHAPITRE 2: une idée de Fouché

A sa grande colère, Hulot est requis pour accompagner deux femmes de Mortagne à Fougères : Marie de Verneuil et sa confidente Francine, voyageant dans la malle-poste mise à mal par les Chouans et accompagnées d’un nommé Corentin. Marie doit remplir une mission pour le compte du gouvernement, qui à la fois l’exalte et lui fait horreur. Le capitaine Merle, l’adjoint de Hulot, est attirée par elle.

A l’hôtel des Trois-Maures, elles sont installées à la table réservée pour le marquis de Montauran, qui se fait passer pour un élève de l’École polytechnique, et Mme de Gua, pour sa prétendue mère. Très rapidement, les stratagèmes sont éventés et les convives conçoivent des doutes sérieux sur leurs identités respectives, à tel point que Corentin, qui a été exclu du dîner par Marie, va chercher le colonel Hulot. Celui-ci veut arrêter le marquis, mais Marie, séduite ou calculatrice, s’y oppose et lui présente une lettre du ministre de la guerre lui donnant les pleins pouvoirs. Interloqué, le colonel brise son sabre et abandonne sa mission.

Mme du Gua charge Marche-à-terre de vérifier l’identité de Marie et de la liquider, le cas échéant. Francine surprend la conversation et supplie celui-ci, qu’elle connaît de longue date et qu’elle retrouve là par hasard, de n’en rien faire.

Sur la route de Fougères, à la faveur d’une promenade, les liens se resserrent entre les deux jeunes gens et le marquis finit par dire qu’il se bat avec les Chouans, mais sans avouer qu’il est leur chef, et il dévoile à Marie ses sentiments pour elle. Celle-ci est soulagée qu’il ne soit pas Montauran, car c’est lui qu’elle est chargée de séduire et de livrer.
Le soir tombe. Marche-à-terre revient avec des nouvelles fraîches au sujet de Marie : c’est une espionne au service de Fouché, le ministre de la Police. Montauran réagit en la battant froid. Cependant, il l’invite à dîner dans son château de la Vivetière.

Au château se trouvent les principaux chefs chouans, prévenus contre Marie. Le marquis arrive à les neutraliser, tout en se rapprochant de Marie. Le comte de Bauvan arrive au château, et annonce discrètement au marquis que Marie n’est pas duchesse de Verneuil et qu’elle l’a trompé. Pendant ce temps, sur l’ordre de Mme du Gua, les soldats républicains sont liquidés par les Chouans. Mme du Gua arrache à Marie la lettre dont elle tient ses pouvoirs et la lit à haute voix devant l’assemblée. Marie, considérée comme une « fille d’opéra » au service du gouvernement, est abandonnée à Pille-miche, après avoir tenté de poignarder le marquis. Le capitaine Merle qui tente de la protéger est tué.

Marche-à-terre, par amour pour Francine qu’il connaît depuis toujours, parvient à l’échanger à son compagnon contre de l’argent, et il la libère en même temps que celle qu’il aime encore. Elles sauvent la vie du sergent Beau-pied, seul rescapé du meurtre organisé, en l’emmenant. Sauvée in extremis, Marie s’installe dans la citadelle de Fougères, en pays chouan, et jure de se venger d’avoir été méprisée et humiliée. Le colonel Hulot, désireux de venger ses soldats, reprend son service.

CHAPITRE 3: un jour sans lendemain

Lors d’une promenade, Marie, qui observe les Chouans, essuie un coup de feu tiré de loin par Mme du Gua. Elle décide cependant de revoir le marquis. Elle atteint le manoir d’Orgemont où les Chouans se sont établis, aperçoit son visage désemparé, mais doit se sauver dans les caves. C’est là qu’elle découvre Marche-à-terre et trois acolytes en train de torturer D’Orgemont, qui n’a pas payé sa rançon. Elle les effraie involontairement, mais échappe à son sort grâce au banquier qui, de connivence avec Galope-chopine, le cousin de Pille-miche, la cache.

Elle assiste, le matin suivant, au vain assaut des Chouans contre Fougères et doit chercher refuge chez Galope-chopine. C’est là que vient également se cacher le comte de Bauvan. Elle le fait prisonnier et le confie au sergent Beau-pied, qui apparaît peu après. Revenue à Fougères, elle dissuade Hulot de faire fusiller le comte. Les révélations de Marie font comprendre au comte qu’il l’a calomniée, puisque son père est réellement le duc de Verneuil. C’est pourquoi elle lui demande réparation : lui assurer sa protection au bal de Saint-James organisé par les Chouans, où elle a l’intention de paraître, garder le secret sur sa venue et instruire ses compagnons de l’erreur qu’il a commise. Le comte, sous le charme et content d’en être quitte à si peu de frais, accepte.

À Saint-James, arrivant le matin sous la conduite de Galope-chopine, elle assiste à la messe de l’abbé Gudin et observe comment il manipule les paysans illettrés. Pendant ce temps, le marquis doit affronter une fronde des principaux chefs chouans, qui veulent voir reconnus par le Roi leurs mérites à leur juste prix.

La beauté, l’élégance de Marie et les explications du comte lui permettent de reconquérir les convives de la Vivetière. Seul le marquis demeure à l’écart, jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de rentrer en grâce sans trop s’humilier. Mais Marie tient à ce qu’il se dévoile davantage et elle l’oblige à la raccompagner à Fougères. Une nouvelle fois, Mme du Gua charge Pille-miche de la faire disparaître.

Après lui avoir conté ce que fut sa vie de fille naturelle d’un duc et d’épouse de Danton, Marie le laisse partir aux abords de Fougères et regagne la ville, où l’attendent le colonel Hulot et Corentin. Ceux-ci sentent bien que sa détermination de piéger le chef chouan a faibli et ils se promettent de contrecarrer ses plans.

Lorsque Galope-chopine arrive en émissaire du marquis, Corentin comprend qu’une nouvelle rencontre aura lieu entre les deux amants. Dans un premier temps, il tente de convaincre Marie – en lui rappelant ses sentiments à son égard – de se fier à lui pour protéger le marquis. En vain. Alors, il va trouver Hulot et lui annonce ce qui se trame. Celui-ci est en train de préparer une attaque sur Florigny, où seraient concentrés des Chouans. Corentin comprend immédiatement qu’il s’agit d’un leurre et il convainc le colonel d’aller dans le val de Gibary.

Hulot organise ses troupes, de manière à pouvoir surprendre le « Gars » et place ses Contre-Chouans (vêtus comme les Chouans) en première ligne. Trompée par le déguisement, Barbette, la femme de Galope-chopine, trahit la présence du « Gars » chez elle – bévue lourde de conséquences.

La marquis offre à Marie de l’épouser. Celle-ci est réticente, car elle mesure la différence de condition. Pourtant, quand elle comprend la sincérité de ses sentiments, elle se laisse guider par sa passion pour lui. Bientôt, il viendra à Fougères chez Marie et l’épousera devant Dieu.

La cabane est encerclée. Montauran parvient toutefois à s’échapper avec l’aide des Chouans. Il pense qu’il a été trahi, et c’est Galope-chopine qui, jugé coupable de félonie, sera exécuté peu après par Marche-à-terre et Pille-miche. Découvrant la tête de son mari pendue à la porte d’entrée, Barbette fait jurer à son fils de se battre avec les Bleus. Elle va voir le colonel Hulot pour lui demander de faire de son fils un Bleu et lui indique que le « Gars » sera cette nuit à Fougères chez son amante. Corentin, qui est présent, va droit chez Marie pour négocier son aide. Elle le croit vénal et lui offre une grosse somme d’argent pour protéger le marquis, mais Corentin veut avant tout la souiller pour mieux la conquérir. Il s’assure du concours du fils de Barbette pour surveiller la maison, car le brouillard est très dense.

Un message du « Gars », prétendument arraché à un messager chouan par un Contre-chouan, est remis à Marie de la part de Hulot, où Montauran se réjouit du bon tour qu’il joue à la République en séduisant l’espionne. Marie, folle de rage, demande à Hulot de renforcer la garde autour de sa maison ce soir. Pendant ce temps, profitant du brouillard, quatre hommes ont pénétré dans la maison. Plus tard, Corentin s’aperçoit que de nombreux Chouans sont à proximité de la tour, et Hulot envoie 50 hommes pour leur couper le chemin. Mais, alors que la présence d’hommes dans la maison est visible, il refuse d’intervenir avant le jour, malgré la lettre officielle que lui montre Corentin, dans un souci d’humanité.

Les explications entre les deux amants sont de courte durée : Marie comprend rapidement qu’elle a été jouée par Corentin, qui a rédigé la fausse lettre ; mais le marquis lui conserve son amour et garde confiance en l’avenir. Au petit matin, Marie lui emprunte ses vêtements et sort discrètement par la porte de devant. Le marquis, hélé par les Chouans, tente de fuir par l’œil-de-bœuf en utilisant une corde de draps pendant le long de la tour.

S. ToudouzeHonoré de Balzac, The Chouans. Philadelphia: George Barrie & Son, 1897

En définitive, malgré le subterfuge, aucun des deux amants n’échappe aux soldats de Hulot. Marie a le ventre percé d’un coup de baïonnette, alors qu’elle tente de passer en force et de gagner l’escalier de la Reine, tandis que le marquis est criblé de plomb, au moment où il se laisse glisser dans les douves. Avant de mourir, il demande au colonel d’écrire en son nom à son jeune frère à Londres pour le prier de ne plus combattre la République. Quant à Corentin, tenu dans le plus grand mépris, il est prié de vider les lieux immédiatement.

Julien GRACQ et “Les Chouans”

Au milieu des dangereux escarpements des roches de Saint-Sulpice… Brusquement ce paysage inquiétant que vient de contourner l’Èvre me ramène à la vignette ainsi légendée d’une livraison à bon marché des Chouans de Balzac, dans laquelle j’ai découvert autrefois ce livre surtendu et hagard, dont le voltage d’un bout à l’autre reste sans égal. Mlle de Verneuil, seule, à la nuit à tombante, face au coteau de Fougères, un poignard afghan passé dans sa cein­ture, escalade les rocs du Nançon qui s’entassent plus haut que la pointe d’aiguille du clocher de Saint-Sulpice ; son amazone traîne dans les ajoncs, un voile d’étamine – semblable au pavillon de combat de ces indomptables ladies vic­toriennes qui se mettent en route, indifféremment, pour l’escalade de la Jungfrau ou pour la chasse au tigre – flotte au vent amarré à son canotier. Ce qu’elle chasse dans un si étrange équipage, au travers de la nuit peu sûre, en se tor­dant les chevilles sur le sentier que traverse déjà le cri équivoque de la chouette, c’est son amant, le marquis de Montauran, l’envoyé des Princes, et elle ne sait du tout si c’est pour le livrer ou se donner à lui : quoi de plus éperdu, me semble-t-il chaque fois que je rouvre le livre, que cette silhouette aimantée qui semble jouir et se nourrir, dans une insouciance complète de tous les buts concrets, seulement de la température d’orage qui la pousse de l’avant ?

Église  St-Léonard et chapelle St-Nicolas, gravure XIXe, Médiathèque Fougères-Communauté.D.R.

Jamais je n’ai pu passer à Fougères sans gravir le coteau central de la ville, pour ranger un moment ma voiture au pied de l’église Saint-Léonard qui le domine, et dont le clocher garde tou­jours la forme de pain de sucre que lui assigne Balzac. Le vent des hauteurs, dans ces ruelles cléricales austères et peu passantes, souffle ici même au coeur de l’été. Passé le portillon –  dont le claquement rouillé m’est la familier –  qui donne accès au gravier et à la ter­rasse supérieure du beau jardin public, j’entre soudainement au cœur d’un livre, comme on entrerait par magie au coeur d’un diamant : toutes les facettes en font converger ici la lumière unique et brasiller l’eau incomparable. Voici, à droite, les pierres disjointes de la tour écrêtée du Papegaut, sur laquelle s’éle­vait la maison louée par Corentin pour Marie de Verneuil –  voici les précipices qu’escaladent les chouans de Marche-à­-Terre dans le final grandiose de la der­nière nuit, où toute la ville et la campagne, en armes et silencieusement alertées, semblent s’animer et osciller dans le noir comme une aiguille folle autour du point de feu qui brûle fixe à la chambre haute des amants. Voici l’escalier de la Reine que dévale en tor­rent la robe de Marie à la recherche du Gars – voici la masse de l’énorme châ­teau chevauchant le ressac figé des blocs de schiste – les roches de Saint-­Sulpice où va monter la fumée fatale, où se niche toujours la pointe d’aiguille du clocher – les prairies vertes du Nan­çon que traverse sur le vieux pont l’aventurière. Derrière moi, à gauche, cachés un moment par l’épaule de la colline, le val de Gibarry, le Nid-aux­Crocs, et la chaumière sanglante de Galope-Chopine – à droite, à quelques pas, le poste de garde placé par Hulot tout contre Saint-Léonard. Presque en face – et ici l’attention se fait aiguë, l’oeil cherche à serrer de plus près la distance exacte – le rebord abrupt de l’autre versant du Nançon : c’est là, im­possible de ne pas en convenir, que Marie à la promenade a reconnu brusquement, au-delà de la rivière, le Gars et son état-major de chasseurs du roi ; c’est de ce rocher même, en face de la Promenade, qu’à travers la vallée Mme du Gua a ajusté si soigneuse­ment sa rivale, qui se tenait debout exactement là où je suis ; le coup de feu tiré il y a deux siècles va de nouveau partir ; les fantômes couchés se relèvent à l’appel d’une écriture magique : tout recommence, tout est vrai ; il n’y a pas plus d’une portée de fusil. Et mainte­nant l’œil revient se fixer sur ces « dangereux escarpements des roches de Saint-Sulpice » où une silhouette frêle et haute brille encore dans le soir tom­bant, et s’éclipse, et reparaît par inter­valles en s’élevant comme une torche allumée : tout l’incendie de lande sèche qui habite le livre se consume en elle, vole avec elle. Brûlant fantôme – cyclone si tendre – reine à travestissements d’un prodigieux Opéra du bocage, que la nuit te soit longue ! la nuit folle où tu cherches ton amant dans le dédale des haies, avec ton voile flottant, ton kandjar ciselé et ta longue traîne – fabuleusement élégante –  en sautant les échaliers. Et que ta merveilleuse extravagance –  longtemps, toujours ! – enflamme l’une après l’autre, l’une à l’autre, chacune des pages du livre enchanté.

Julien GRACQ – Les Eaux étroites – 1976 –  José Corti Éditeur

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